Des jeunes entrepreneurs mexicains ont décidé d'en faire une force en créant des soirées, où les créateurs de startups racontent leurs erreurs.
Dans le monde des start-up, le mot échec a longtemps été tabou. De jeunes entrepreneurs mexicains ont décidé d'en faire une force en créant des soirées festives et branchées intitulées "les Fuck Up Night", où les créateurs de startups racontent leurs erreurs.
Dans le monde des affaires, parler d’échec est de mauvais
goût, mais la communauté des entrepreneurs mexicains tente de mettre fin à ce
tabou. Les jeunes créateurs de startups, ces sociétés qui reposent sur les
nouvelles technologies et dont le budget est modeste mais les perspectives
ambitieuses, se réunissent une fois par mois à México pour raconter leurs
malheurs en public. Ils ne se livrent pas à cette forme de thérapie de groupe
par masochisme, mais plutôt parce qu’ils sont convaincus que pour réussir, il
est nécessaire de trébucher plusieurs fois en cours de route.
“Le premier loser de la soirée est Alberto Padilla”, annonce
Leticia Gasca, l’une des créatrices de la Fuck Up Night (La nuit des
échecs), par une froide journée de novembre. Alberto attrape le micro et évoque
les trois moments de sa vie qui lui valent ce qualificatif. Il a appris la
signification du terme très tôt. A l’université, il a lancé une revue avec
quelques amis et l’un d’eux a promis que son père financerait le premier
numéro. “La leçon, c’est que nous avions un accord verbal, mais rien de solide.
Ce n’était que du vent”, raconte-t-il face au public hilare.
Loin d’être échaudé, il s’est embarqué dans un cabinet-conseil
spécialisé dans les franchises et s’est consacré entièrement à la rédaction de
manuels. Il a fini par gagner plusieurs milliers de dollars par jour. Motivé,
il a ouvert une succursale à Monterrey, dans le nord du Mexique, et a commencé
à développer le marché de l’entreprise pour laquelle il travaillait. Avec le
temps, le patron a peu à peu réduit ses commissions et le nombre de ses
projets. “Ça a été difficile, car j’ai perdu deux ans de ma vie. Mais j’ai appris à
m’associer aux bonnes personnes”. De toute façon, le pire des échecs était
encore à venir.
“Padilla a créé un réseau social, qui s’appelait Habitat. Un site vraiment “lourd” à utiliser. Il avait
conçu la partie logicielle et une belle page d’accueil, mais n’avait fait aucun
investissement dans la publicité. C’était avant les années 1990, lorsque les
visites semblaient tomber du ciel quand on créait un site. Le jeune
entrepreneur a perdu environ un million de pesos (56 300 euros).
Certains auraient passé le reste de leur vie avec les créanciers aux trousses
pour moins que ça.
Est-ce qu’Alberto Padilla a-t-il fini par errer dans les
soupes populaires du centre, la braguette ouverte et puant la tequila ?
Non, évidemment, sinon il n’érigerait pas sa vie en exemple devant tout le
monde. Il est le cofondateur d’Aventones, un site de covoiturage qui a beaucoup
de succès. The Next Web, un blog reconnu dans le secteur des nouvelles
technologies, lui a remis le prix de la meilleure application Internet du pays.
Ecouter les malheurs de quelqu’un, c’est réconfortant
Leticia Gasca, la jeune femme de 27 ans qui présente les intervenants, se
rappelle comment est apparue l’idée de créer ces réunions, qui attirent de plus
en plus de monde : “Je prenais un verre avec quatre amis et nous parlions
de la vie d’entrepreneur. Nous nous sommes rendu compte que nous parlions tous
de nos affaires ratées, mais que personne ne nous avait raconté ces histoires,
comme nous le faisions pendant trois heures en buvant du mezcal”. Finalement, ce
qui aurait pu rester un projet échafaudé sous l’emprise de l’alcool et abandonné
au lever du soleil s’est transformé en quelque chose de sérieux.
Deux semaines plus tard, la première édition de la Fuck Up
Night a eu lieu dans un patio, avec 40 personnes et encore plus de bières.
“Le mot échec n’existe pas dans le monde des entreprises. D’ailleurs, personne
n’ose même le prononcer. Si on fait attention, on se rend compte que la plupart
des gens parlent d’erreur ou de faux pas”, explique Leticia Gasca, pour qui la
bataille est aussi sémantique. De plus en plus de gens viennent écouter les
histoires des entrepreneurs, ce qui montre ainsi qu’il est peut-être plus
divertissant et réconfortant d’écouter quelqu’un évoquer ses malheurs que ses
réussites.
Au Mexique, 35 000 entreprises sont créées chaque
mois. Selon le ministère de l’Economie, 6 % des jeunes entre 18 et
24 ans ont leur propre affaire. Le gouvernement d’Enrique Peña Nieto a
créé l’Institut de l’entrepreneur : son directeur, Enrique Jacob, tente
d’apporter un soutien financier aux projets qui ont l’air de prospérer. Il
suffit de faire un tour dans les quartiers les plus aisés de México ou de voir
le succès de jeunes gens à Puebla, Monterrey, Hermosillo ou Tijuana, entre
autres, pour se rendre compte que l’esprit d’entreprise est en bonne santé au
Mexique. Les Mexicains ont la réputation d’être peu aventuriers dans le monde
des affaires, mais ce cliché se vérifie moins qu’avant.
“Le Mexique a soif de succès”
Pour Gustavo Álvarez, promoteur au Mexique du “Startup Weekend”, une
manifestation de trois jours au cours de laquelle les participants doivent
concevoir un projet d’entreprise viable, la Fuck Up Night accueille
plus de personnes enthousiastes que déprimées. “Nous éliminons le stigmate de
l’échec personnel. C’est la meilleure façon de se découvrir. J’ai participé et
j’ai raconté mes erreurs. Ça a été un excellent exercice pour mieux me
connaître en tant qu’entrepreneur”, résumé Gustavo Álvarez.
Les chiffres économiques sur lesquels l’année 2013 va se
conclure sont moins bons que prévu - le taux de croissance a été révisé à la
baisse trois fois pour passer de 3,5 % à 1,3 % - mais cela n’empêche
pas certains de rester très enthousiastes. César Salazar, membre de 500 Startups,
une société d’investissement, passe discuter de groupe en groupe lors de la
soirée de présentation de l’ouvrage Pequeño
cerdo capitalista [Le petit cochon capitaliste], un best-seller sur
l’épargne de Sofía Macías, qui publie maintenant son deuxième opus, consacré
aux investissements. “Le Mexique a soif de succès”, affirme César Salazar entre
une part de pizza et une bière. En 2012, sa société a investi dans 35
entreprises mexicaines liées aux nouvelles technologies.
La formule de Fuckup Nights commence à faire des émules :
la première édition organisée en dehors de México a eu lieu à San-Sébastien, en
Espagne. Et maintenant, 15 autres villes mexicaines organisent leur
version de ces réunions.
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